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Les tours de Hu'ng Thanh


État des temples dans les années soixante (carte postale collection Hoang/Pomédio)

de Isabelle Riblet1

Thap Doi, "la paire de tours ou « groupe de Hung Thanh", du nom de l'ancien village, était autrefois isolé au pied d'une colline près de la mer dans la campagne de la province du Binh Dinh2. Aujourd'hui le site se trouve dans le quartier de Dông Da de la ville de Qui Nhon, à 2 km du centre ville.

À l'origine, le groupe comprenait 3 tours ouvertes à l'est, alignées sur un axe nord-sud. La tour centrale plus grande que les deux autres, a reçu le nom de "tour nord" depuis que la tour latérale nord s'est écroulé.

Les explorations du début du siècle ont mis en évidence une grande enceinte comprenant, au sud des sanctuaires, un long tertre de briques identifié comme un magasin (?) d'objets de culte et deux bassins creusés dans les angles nord et sud de la face est . Près de l'endroit où devait se situer le mandapa, on voit encore un puits d'origine chame et un énorme bloc de pierre taillée.
La « tour nord », d'une hauteur actuelle de 25 m, est de plan carré redenté. Son soubassement est parementé de 5 assises de pierres disposées symétriquement : en partant du bas, la première et la cinquième assises ont un profil plat sans décor ; la deuxième et la quatrième en quart de cercle sont ornées d'un décor de feuilles dit "motif de Thap Mam" sur 2 registres séparés par un listel ; la troisième assise, de profil plat, se compose de petits animaux mythiques alternant avec des figures à masque animalier, jambes écartées et bras levés dans des attitudes opposées et dynamiques exprimant peut- être la lutte. Lors d'une première restauration, dans les années 1960, ce soubassement a perdu son décor, excepté sur un petit espace de la face nord de la tour. Des blocs, dont certains sont sculptés, épars sur le sol autour des monuments, appartiennent à la troisième assise décrite ci-dessus.
Le piédestal de la tour comporte plusieurs registres décroissants, le premier étant parementé de pierre, les autres laissent la brique apparente. Le corps de l'édifice rythmé de 5 pilastres larges et nus par face présente, en entre-pilastres, un décor de cadres de moulures allongés. Les fausses portes ont également été restaurées (celle du sud est presque complète). Chacune d'entre elles est constituée de 4 corps surmontés d'une « grande arcature » en fer de lance décorée de feuilles3. Entre les 2 pilastres du corps antérieur, un double cadre long sculpté dans la brique pourrait évoquer une menuiserie. Les 4 corps de fausses-portes sont d'une régularité remarquables. La corniche moulurée est animée par des redans dessinant la terminaison des pilastres et des entre- pilastres. Un garuda atlante en haut relief occupait chacun de ses angles. Sa « grande face »4 est ornée de petits singes dansant (?).
La superstructure, au dessus de la corniche, affecte la forme d'une pyramide dont les contours évoqueraient la courbe d'un obus. Chacune de ses faces est divisée en 7 registres horizontaux. Le premier, en bas, était orné de 7 petits panneaux par face (les « métopes » de H. Parmentier, op. cit.: 24). Trois d'entre eux, sculptés de divinités assises ou dansantes, sont flanqués de gajasimha. Les six registres suivants ont un décor à peu près identique : 4 fausses niches très simples sont alignées, encadrant une « petite arcature » dont le tympan en pierre était sculpté d'une divinité assise aux bras multiples. Au second registre, 2 nâga tricéphales s'ajoutent sur les côtés de cette arcature. Dans les 5 registres suivants, l'arcature comporte 2 renforts latéraux en brique sans décor. Des nâga à 5 têtes en haut relief soulignaient les arêtes de la superstucture aux angles de chaque registre.


État des temples en 1997 (photo : Hoang/Pomédio)

À l'intérieur, les murs de la cella sont très dégradés. L'idole a disparu, mais des fragments de son piédestal, autrefois transportés dans le jardin de la résidence de Qui Nhon, font penser qu'il s'agissait d'un linga5. Le kalan était peut-être précédé d'un vestibule si l'on en juge d'après les traces d'arrachements qui avaient été remarquées au dessus de la porte Est6. Dans ce cas l'escalier qui a été restauré ne devrait pas se trouver comme aujourd'hui au niveau de la porte de la cella mais plus avant, à la hauteur de la porte du vestibule. Le sol de la cella est en effet placé à la hauteur de la cimaise du soubassement, ce qui explique la nécessité d'un escalier. La tour sud est de proportions plus réduites (19 m de hauteur subsistante). Le soubassement, bien que consolidé dans les années 1960, n'a pas retrouvé sa forme initiale, son parement de pierre a disparu. Le corps du kalan (pilastres, entre- pilastres, fausses portes), et la corniche présentent une disposition semblable à celle de la "tour nord". La frise de la "grande face" est difficilement lisible, mais on peut y distinguer des représentations d'animaux. La superstructure de­vait proposer le même programme qu'à la "tour nord", mais son décor est ruiné et la végétation, dégagée par les restaurateurs, est à nouveau en train de l'envahir. L'intérieur du sanctuaire est pareillement très délabré. La porte Est a conservé son encadrement de pierre. Pour C. Lemire, les tours de Hu'ng Thanh étaient surmontées d'une boule et d'une flèche dorées. La tradition orale locale rapporte que ces 2 éléments auraient été emportés au XVIIe siècle sur un navire européen.
Les inscriptions retrouvées au Binh Dinh sont toutes postérieures aux monuments et ne peu­vent être mises en relation avec ces derniers ; elles ne permettent donc pas de les dater. Dans les chronologies relatives établies par Ph. Stern et J. Boisselier7, le site de Thap Doi se situerait vers le milieu du XIIe siècle (style de Binh Dinh ou de Thap Mam) par ana­logie avec les superstuctures et la plastique d'Angkor Vat ainsi que par concordance historique (occu­pation khmère du Champa entre 1145 et 1149). Mon regretté professeur A. Le Bonheur reconnaissait d'ailleurs avec moi, à la suite de mon travail de synthèse sur les monuments du Binh Dinh8, que ces chronologies ne sont pas sans poser quelques difficultés.

 

1 Titulaire d'un DEA sur les Kalan du Binh Dinh.
2 H Parmentier, Inventaire descriptif des mo­numents chams de l'Annam, Paris 1909 :146-154, pl. XX-XXXI.
3 cf Ph. Stern, L'art du Champa (ancien Annam) et son évolution : 13.
4 H. Parmentier, op. cit. : 22.
5 La mortaise octogonale correspond à la partie inférieure des linga à 3 sections.
6 H. Parmentier, op. cit. : 153.
7 P. Stern, op. cit. 4 ;J. Boisselier, La statuaire du Champa, recherche sur les cultes et l'iconographie, publ. EFEO, Paris 1963: 308 sq.
8 Les Katar) du Binh Dinh, mémoire de DEA soutenu en novembre 1995.

Article de "La Lettre de la SACHA" n°1, juillet 1997, pages 8 à 9.






 
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