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Musées

Muséum d'Histoire naturelle de Lyon

1. Une collection d'art Cham en partie retrouvée
2. Les oeuvres Cham du Muséum d'Histoire naturelle de Lyon

La collection Maurice

1. Une collection d'art Cham en partie retrouvée
Jean-Michel Beurdeley1

C’est dans les années 1980 que nous nous sommes intéressés au naufrage en mer Rouge du Meï-kong, navire des Messageries maritimes. Ma mère, Cécile Beurdelay, faisait à cette époque des recherches sur l'exploration subaquatique pour écrire un livre intitulé L'Archéologie sous-marine. Elle découvrit de nombreuses informations concernant la disparition de la collection d'art Cham du Docteur Morice qui retint notre attention. L'idée de récupérer cette cargaison nous traversa l'esprit, mais très vite nous en fûmes dissuadés : l'expédition étant trop périlleuse et difficile à réaliser.
Grande a été notre émotion lorsque nous avons appris que Robert Stenuit venait d'accomplir ce rêve vieux de plus de dix ans. Celui-ci, historien, archéologue, pionnier de la plongée, a plusieurs records à son actif. En 1967, il organise des fouilles sur l'épave d'un vaisseau de l'Invincible Armada qui coula en 1658 au large de l'Irlande. Parmi ses découvertes importantes, il y a aussi celle de l'épave du Witte Leeuw de la Cie Néerlandaise, dans la baie de Sainte-Hélène où il trouva un véritable trésor de porcelaine d'époque Ming. Robert Ste- nuit organisa aussi un « groupe de recherches archéologiques sous- marines post-médiévales » à Marseille qui recevait des subventions de la Comex, compagnie bien - connue d'expertises maritimes.
Enfin il est un des premiers archéologues à avoir compris qu'une épave se retrouve d'abord dans les archives maritimes, que ce soit à Paris, Londres, Amsterdam, Séville ou Lisbonne, etc. C'est ainsi qu'il se mit à la recherche de la collection d'art Cham du Docteur Morice. Dans un très bon article paru dans Paris Match du 26 septembre 1996, Robert Sténuit raconte son aventure dont voici en quelques lignes le résumé.
La Somalie était alors ravagée par une terrible guerre, et grâce à l'aide de financiers américains, Ted Edwards, père et fils, fins négociateurs, ils purent signer un contrat avec les autorités locales. Robert Sténuit monte une expédition à bord du navire le « Scorpio », avec une vingtaine d'hommes pour l'assister dans ses fouilles.


Le Meï-kong (d'après un tableau d'époque)

Paquebot des lignes impériales, lancé le ler mai 1870.
Longueur : 111/117 in, largeur : 12 m, environ 500 passagers.
Revenant de Hong-Kong sous les ordres du Cdt Foache, il s'échoue par brume dans les eaux somaliennes, le 17 juin 1877 un peu avant minuit.

La collection de statues Cham du médecin de la marine, Albert Morice, a sombré dans les eaux somaliennes entre le cap Schénarif et le cap Guardafui. Ce lieu situé à la pointe nord-est de la Somalie, toujours réputé dangereux, a vu sombrer de nombreux navires, et c'est dans une mer agitée que l'ancre du Scorpio est jetée le 8 octobre 1995. Une équipe de cinq plongeurs se met immédiatement au travail. Sept épaves sont alors repérées.
Le Meï-kong possédait quelques caractéristiques permettant de l'identifier : sa coque en fer coulée parallèlement à la côte, la poupe au nord, et il possédait une seule hélice dont le logement était en demi lune. Après une inspection minutieuse, l'épave du Meï-kong est découverte, elle est brisée en trois parties principales, éparpillées en plusieurs morceaux. Les fouilles sont d'autant plus difficiles que la mer est agitée. Le travail, en aveugle la moitié du temps, n'est pas facilité par une houle soulevant des tourbillons de sable. Enfin apparaissent des potiches japonaises, des débris d'assiettes chinoises et des statuettes de dragons. Robert Stenuit savait que des objets semblables avaient été embarqués sur ce bateau, reste à savoir si les statues cham sont toujours là.
Les plongeurs ne cessent de se relayer sur le chantier sous- marin et finissent par découvrir deux statues, la première est une « pièce d'angle » et l'autre un « dra­gon », le reste de la collection ne va pas tarder à réapparaître au grand jour. Au rythme de quatre plongées par jour, ils remontèrent, à l'aide de ballons de levage, environ une dizaine de sculptures. Après deux mois de prospection, la majeure partie de la collection est récupérée, sa mission est un succès 2.
L'énigme du nombre exact des sculptures de la collection du Docteur Morice reste et restera entière. En effet Robert Sténuit a bien retrouvé une dizaine de statues et pense en avoir laissé
quatre dans les soutes du Meï-kong. Nous sommes loin des 80 tonnes de sculptures mentionnées dans la Commission Archéologique de l'Indochine de 1909 (d'après les archives de Cécile Beurdeley).
C'est après avoir effectué d'autres recherches, et en fouinant au Musée des Beaux Arts de Lyon que Robert Sténuit découvrit huit pièces de la même collection qui avaient été précédemment expédiées sur un autre bateau et qu'aucun spécialiste ne paraissait connaître. Elles sont publiées par notre Lettre de la Sacha (juillet 1997) pour la première fois.
Certes ces sculptures ne figurent pas parmi les plus beaux chefs d'oeuvres de l'art Cham, mais il n'en demeure pas moins qu'elles sont d'une grande rareté et nous ne pouvons que remercier Robert Sténuit et ses plongeurs d'avoir « levé le filet de l'oubli ». Comme l'écrivait Hong Frost, pionner de l'archéo­logie subaquatique, «chaque épave est une petite Pompéi disparue tra­giquement, à un moment précis dans le temps, témoignant de diverses cultures et d'époques».

1 Directeur de la galerie Beurdeley (Paris).
2 L'équipée de Robert Sténuit et de son équipe a fait l'objet d'un film réalisé pour la télévision par Karel Procop, diffusé sur Arte le 22 septembre 1996.

 

2. Les oeuvres Cham du Muséum d'Histoire naturelle de Lyon
Emmanuel Guillon1

On connaissait, du Muséum d'Histoire naturelle de Lyon, une belle Durga Mahasasuramardini debout, à étai, appartenant à la fin du style de Dong Du'o'ng. Datable du début du xe siècle, elle provient vraisemblablement du Quang Tri.


Durga Mahasasuramardini

Il semble que cette statuette2, qui porte encore des traces de polychromie était très vénérée par les habitants du village d'où elle provenait. D'abord déposée par C. Paris dans le jardin de sa villa de Vanves, près de Paris, elle était destinée au Musée Guimet.
Mais on ignorait tout de l'ensemble de huit sculptures envoyées en 1877 à Lyon par le Dr Morice, et c'est donc grâce à Robert Stenuit que cette collection inédite est réapparue.
L'oubli de ces sculptures n'est cependant nullement dû à une quelconque négligence de la conservation, mais résulte d'un incroyable imbroglio, qui a duré plus d'un siècle. En effet le premier envoi (à bord du Ava, semble-t-il) de 1877 était destiné au Muséum d'Histoire naturelle de Lyon. Or, ce musée se trouvait dans le même bâtiment que le Musée des Beaux-Arts, dans l'ancien couvent des Terreaux dit la « maison de Saint-Pierre », occupé aujourd'hui par le seul Musée des Beaux-Arts, sur l'un des côtés de la même place des Terreaux. À l'époque, le Directeur du Muséum, le Dr Louis Lortet, avait même demandé au Préfet l'autorisation de procéder à des travaux d'aménagement d'une pièce pour pouvoir notamment «mettre sous les yeux du public les superbes échantillons de sculptures de l'[art] kmer (sic) envoyés du Cambodge par notre infortuné compatriote, le Docteur Morice»3. Ces oeuvres furent sans doute oubliées lors du déménagement en 1914 du Muséum d'Histoire naturelle sur l'actuel site du boulevard des Belges. En 1933 ces pièces, qui semblaient n'avoir pas leur place dans les collections, classiques, des Beaux-Arts, furent naturellement envoyées au Musée Guimet dont le bâtiment construit par Émile Guimet en 1879, avait été bordé par une patinoire édifiée plus tard par une société qui avait périclité peu d'années après.
C'est dans cette patinoire rachetée par la ville, ainsi d'ailleurs que le bâtiment Guimet après le déménagement des collections à Paris, que devait s'installer le Muséum d'Histoire naturelle. C'est donc par erreur que les sculptures chames entrèrent au Musée Guimet où elles furent considérées comme faisant naturellement partie des collections. La fusion administrative des deux musées en 1979 sous la même direction et le même personnel permit de rétablir les origines des collections et de dénouer ainsi l'imbroglio de cette collection chame.
Nous devons à l'obligeance de M. Roland Mourer, Conservateur du Muséum, et éminent spécialiste de la préhistoire cambodgienne, ces renseignements et les huit photos qui suivent. Qu'il en soit ici vivement remercié.
Elles sont présentées dans les numéros d'ordre du Muséum de Lyon, qui sont les numéros d'inventaire.      

 

                   

         

 

Cet ensemble ne semble donc pas relever tout entier d'une même période, quoiqu'on retrouve à plusieurs reprises des indications qui le rattacherait à la brève période de la fin du XIIe siècle ou de la première moitié du XIIIe, où l'occupation khmère est attestée par ailleurs. Il est plus difficile d'attribuer ces pièces, en toute certitude, à un seul site, quoiqu'il soit certain que l'ensemble de Hu'ng Thanh est concerné.
Cependant l'article nécrologique rédigé par le Dr Louis Jullien dans le Lyon Médical du 28 octobre 1877 peu après la mort du découvreur nous indique que «A quelques lieues de Qui-nhon, il [le Dr Morice] reconnut huit monuments fort anciens, uniques dans leur genre, couverts de sculptures allégoriques d'un grand intérêt ; cinq étaient debout, les trois autres renversées ; il résolut d'envoyer en France ces ruines si intéressantes. ». L'article ajoutait qu'il envoya (de Qui Nhon) trente caisses en France, dont vingt-deux furent perdues lors du naufrage du Meï-kong.

1 Chercheur associé au CNRS.
2 Elle semble correspondre à la statue décrite par H. Parmentier en 1909, p. 531, et a été analysée par J. Boisselier en 1963, p. 130-131, et fig. 65.
3 Lettre manuscrite du D'" Lortet datée du 13 janvier 1878 et adressée au Préfet du Rhône.

Article de "La Lettre de la SACHA" n°1, juillet 1997, pages 3 à 7.






 
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